Des chemins

Des chemins

"Mais c'est long le chemin"

Danielle Marguerite Chanteux


EUR 19,90

Format: 13,5 x 21,5
Nombre de pages: 252
ISBN: 978-3-99107-870-8
Date de publication: 01.06.2023
Un été, Cécile s’en va loin des siens pour se retrouver et provoquer les réponses de son mari Éric, dont le comportement suscite des interrogations et crée des tensions au sein de la famille. Des rencontres imprévisibles s’ensuivront l’invitant à revisiter sa propre histoire, et de nombreuses autres. Qu’adviendra-t-il après ?
AVANT-PROPOS


Fin du printemps. Il a fait beau cette année-là au Pays basque, chaud même.
Fin d’après-midi. La baie scintille aux couleurs du couchant.
A la terrasse du Bar basque, les glaçons fondent dans la sangria parfumée. Ils la font si bien. Je n’en bois qu’ici, suçotant les tranches de l’orange. Ma tête est vide. Juste la sensation de bien-être procurée par l’alcool acidulé.
Je les vois soudain. Je les ai rencontrés déjà. Ils sont trois.
Ils marchent en se donnant le bras.
Les passants sur la promenade de la digue s’écartent, les laissent passer de front : ils semblent si unis. L’âge aussi les rend
fragiles.
Elle est au milieu, impeccable chignon banane d’hôtesse de l’air ; cheveux délicatement blondis méchés de gris ; fine silhouette soignée, peau duveteuse, poudre légère. Sa distinction attire le regard. Elle a revêtu un tailleur Chanel intemporel, pied de coq aux nuances blanc-cassé beige et taupe dont le revers est orné d’une broche à motif camée. Elle marche avec précaution sur ses chaussures d’été aux talons mi-hauts, retenues par une fine lanière qui encercle ses chevilles graciles tels deux bracelets de cuir beige. Coquetterie inhabituelle mais non-négociable quand elle sort.
A sa gauche, un homme en costume grège de coupe un peu ancienne, comme assorti à son tailleur. Il est encore grand malgré son port voûté ; aujourd’hui poivre et sel, ses cheveux ont dû être bruns. Avant.
L’autre, plus petit, paraît plus âgé, ou ses traits sont plus fatigués ; un peu négligé dans sa mise, quelques rondeurs. Ses cheveux clairsemés sont tout blancs. Ils ne sont plus jeunes ; un peu plus âgés qu’elle. Cependant, ils la soutiennent et veillent : elle a du mal à marcher.

Un jour, peut-être, après.




« Il est si bref l’amour
Et l’oubli est si long »

Pablo Neruda




A Alain, à nos Picsous : à mes uniques certitudes.




« Le seul sujet pour un écrivain, c’est ce qui se passe
dans la tête et dans le cœur des gens. »

Françoise Sagan




Première partie
Je reviendrai à Valparaiso


« Pablo, Pablo je meurs peu à peu, inéluctablement
Tout de suite c’était hier ! Je n’ai plus le temps.
Je ne suis pas heureux ! »




Chapitre 1


Roissy Charles de Gaulle, 2 juillet 1991 ; c’est la fin de l’après-midi.
Cécile descend du train qui l’a ramenée du Pays basque ; elle a conduit les enfants à Ciboure pour les vacances avec Mendy, leur chien. En principe, elle reste avec eux chez ses parents, un mois entier.
Cette fois, elle est partie embrassant chacun un peu plus fort peut-être. Éric n’appellera pas avant deux ou trois jours. Elle le connaît : il déteste téléphoner ; il n’appelle que si nécessaire.
A ses parents, elle a dit que des travaux exigeaient sa présence à Versailles. Dès qu’ils seront achevés, elle reviendra passer le mois près d’eux. Peut-être étonnés, ils n’ont rien dit.
Eux non plus ne téléphoneront pas à Éric : la relation est parfois tendue ; résolument conflictuelle même entre père et gendre.
Dès le lendemain, elle a repris tôt le train pour Paris, sans s’autoriser le bain tant attendu d’ordinaire, dans la baie de Saint-Jean dont elle aperçoit un bout de la jetée depuis sa chambre.
Au-delà du môle, jamais la côte d’Argent n’a mieux mérité son nom : des nuages élevés et légers tamisent la lumière d’un soleil filtré irisant l’océan.
Elle n’est pas repassée par la maison ; dans un gros sac-valise, elle a de quoi tenir un mois, comme d’habitude quand elle part seule avec les enfants dans ce pays basque au climat fantasque.
La fatigue marque ses traits. Au creux des reins, une douleur sourde récurrente depuis des semaines.
Sur le panneau des vols en partance, elle vérifie l’heure du prochain départ pour Buenos Aires. En soirée, elle le sait, car Éric prend parfois ce vol. Elle se dirige vers le comptoir d’Air France, demande un billet aller-retour en classe économique.
– Vous aviez effectué une réservation ?
– NON.
– Je suis désolée, Madame, c’est complet en classe économique ; en revanche, en classe affaire.
Elle pense : bien sûr, je peux me le permettre !
Sans réfléchir, elle s’entend dire :
– Le prochain vol pour Santiago ? Est-il complet aussi ?
L’hôtesse qui l’avait avant à peine regardée, la fixe cette fois, sourcilleuse.
– Une place vient de se libérer ; une annulation de dernière minute.
– Je la prends.
En un éclair, elle pense : le destin l’a voulu.
La destination, c’est celle qu’elle aurait dû choisir d’emblée ! N’est-ce pas à cause de Pablo Neruda, de poèmes lus récemment, qu’elle part ce soir ?
Intuition ? Destin ? Elle avait aussi fait refaire six mois auparavant son passeport, sans projet précis ; sans préméditation ? Acte manqué ? Il ne fallait pas de visa.
Comme une automate, elle enchaîne les formalités, programme le retour, puis c’est l’attente pendant laquelle elle feuillette, consulte, achète à la librairie des guides touristiques. L’embarquement, le décollage.
Elle rêve aux maisons de Pablo conçues comme des navires prêts à appareiller : celle de Santiago où il est mort, la Sebastiana de Valparaiso ; et la plus belle selon le guide, celle d’Isla Negra, plus au sud.
Elle se promet de les visiter, ces villas. C’est là qu’elle veut aller : l’océan ! Comment se passer de l’océan !
Elle comprend la passion de Neruda pour la mer, elle comprend sa crainte de l’océan. Elle a peu pratiqué la voile et jamais assez pour maîtriser le geste ni dominer sa peur dans ce golfe de Gascogne tumultueux ; un regret.
Éric ne supporte pas qu’elle en exprime.
– On ne peut tout faire, disait-il, nous avons fait un choix, il faut s’y tenir.
Clap de fin !
Il a toujours raison !
Dans l’avion, elle médite ce hasard ; une question la tenaille, comme au creux de ses reins la douleur à peine calmée par le repos. Une question aussi : pourquoi avant a-t-elle pensé Buenos Aires ? On y parle espagnol, oui. L’Atlantique ? Rester au bord de son océan ?
Peut-être ! Pas seulement. Elle se fustige ; encore cette dépendance qui depuis toutes ces années, la fait penser, agir sous l’influence d’Éric ! Il aime Buenos Aires, son travail l’y conduit parfois, il en parle avec véhémence, comme il le fait pour tout ce qui le mobilise, pour convaincre.
Ce sera Santiago, grâce au hasard, à Neruda.
Une fois là-bas, elle verra. Elle a toujours aimé l’imprévu, l’aventure ; trait hérité de son père, mis en sourdine depuis son mariage : Éric organise tout, prévoit tout, déteste l’imprévu. Les valises sont faites trois jours à l’avance, ce qui ne l’empêche pas de trépigner d’énervement au moment du départ, pendant le trajet, générant conflits et nervosité.
Les enfants sont en sécurité, ils feront les activités auxquelles elle les a inscrits : équitation pour Caroline ; pelote basque pour les garçons qui ont voulu essayer cette année. Ils seront aimés. Elle peut aussi faire confiance à sa grande Caro : elle veillera sur ses frères.
Toute petite déjà, la fillette étonnamment raisonnable pour son âge, témoignait d’un sens aigu des responsabilités ; elle pouvait laisser les petits endormis, faire une course rapide, Caro veillait, aurait su agir ou prévenir. Tout de même, elle a pris les précautions nécessaires, au cas où Éric prendrait mal cette fugue. Imprévisible, il pourrait se montrer redoutable.
Elle n’abandonne pas sa famille, les lettres écrites aux parrains des enfants l’affirment ; ils ne seront pas surpris en la recevant. Depuis des mois, le malaise est palpable.
A ses parents aussi elle a écrit, atténuant le problème deviné par son père. Ayant les conflits en horreur, sa mère a construit autour d’elle un univers idéal où tout le monde s’aime. Elle ne voit rien ou ne veut pas voir.
A Caroline, aux petits, elle a donné l’explication adaptée à leur âge ; la promesse d’un rapide retour, les mots d’amour qu’ils aiment.
Surtout la lettre pour Éric. Cette fois il ne pourra s’y soustraire, comme pour d’autres lettres, il lira. La nuit précédente, dans sa chambre là-bas, elle les a terminées, ces lettres, les a postées à l’aéroport comme on jette à la mer une bouteille. Détermination. Elle a tout prévu.
Elle reviendra de Valparaiso.
Le bruit des réacteurs qui la perturbe d’ordinaire, cette fois, la tranquillise : elle apprend le Chili en accéléré. L’hôtesse propose un apéritif. Elle s’autorise un whisky et entend la voix d’Éric lui dire :
– Ça détend pendant le vol !
Avec le repas servi à bord, elle avale un somnifère puis elle met des boules Quies. Au mieux, ces précautions lui procureront des moments d’oubli.
La nuit, c’est la nuit, agitée comme toutes celles vécues depuis… Depuis ? Elle ne sait plus, mais cela fait longtemps. Sans être insomniaque, elle dort peu. Est-ce depuis la naissance des enfants, les nuits blanches obligées ?
Ou depuis ces dialogues avortés pour tenter de résoudre leurs problèmes tôt apparus et qui se terminent très vite, invariablement par la sanction :
– Il est tard et demain je travaille. A 23 h on n’entame pas de discussion !
Des mois de dérobade.
– Tard ? Vingt-trois heures. Mais quand alors ?
Lui : la journée il est au travail. Retour après vingt heures.
Elle : le matin elle prépare les enfants pour l’école ainsi que sa propre journée. En soirée, elle enchaîne les devoirs à surveiller, les copies à corriger, le dîner à préparer. Ensuite vient le coucher des enfants et l’histoire à lire.
Faire lire Tom qui, à huit ans lisait encore mal, après un CP fulgurant où deux mois lui avait suffi pour apprendre. Elle avait son explication : en CE1, il n’avait pas supporté l’alternance de deux maîtres qui partageaient la journée ; on ne partage pas quand on aime, c’était un enfant tendre. Elle n’avait pas compris tout de suite sa difficulté, la mettant sur le compte de la relation difficile de l’enfant avec son père à qui il tenait tête. Il n’y avait pas que cela. Sensible, intuitif, dirait-elle aujourd’hui, sous des aspects rugueux, batailleur, frondeur mais fragile, sans doute avait-il souffert d’être l’enfant du milieu.
Ce cliché, elle l’avait longtemps évacué. Il adorait son petit frère, son cadet de treize mois, mais il aurait voulu être l’aîné. Il l’exprimait un peu mieux aujourd’hui. Surtout en se bagarrant avec Caro. Investie de son statut d’aînée, sa sœur l’excédait ; peu habile encore à résoudre les conflits par des mots, il s’exprimait avec violence. Le ton montait, à court d’arguments, sans aisance dans l’expression, les portes isoplanes – la précision venait d’Éric ! –portaient les stigmates de ses coups de poings.
Un jour de fête au cours duquel une dispute avait opposé père et fils, seul le tact d’une vieille amie avait su le faire descendre du grand chêne où il s’était réfugié, petit baron perché.
Pourtant, Thomas, dit Tom, n’était pas un enfant difficile ; il avait des copains et ses professeurs l’aimaient. Il savait se rendre sympathique, il compensait son manque de travail personnel par son écoute, sa participation sincère. Évidemment, ce comportement ne suffisait pas dans les matières nécessitant des efforts, aussi sa scolarité se poursuivait-elle cahin-caha. Elle le savait plus heureux, plus épanoui à l’extérieur. A la maison, il ressentait les tensions, sans pouvoir les analyser, il réagissait comme il pouvait, en explosant.
Le scoutisme lui avait procuré l’oxygène nécessaire. Jérémy, dit Jim, lui avait emboîté le pas. Les dimanches, quand les deux garçons partaient, le cercle de famille se rétrécissait et c’était alors qu’elle ressentait sa solitude, le sentiment de ne plus exister.
Il y avait Éric, il y avait Caro.
Caro blottie contre son père devant la télé.
Caro lui donnant la main dans la rue.
Il y eut cette balade au bois de Boulogne qui l’avait peinée : ils ignoraient le monde autour d’eux. Elle marchait derrière. Invisible. Elle n’en voulait pas à l’adolescente. Jalouse de sa fille ? Non. Mais cet excès d’intérêt d’un côté, cet éloignement de l’autre, était-ce naturel ?
Il y eut la réflexion de son père, venu passer seul quelques jours et servir de main d’œuvre.
– Tu ne devrais pas laisser faire, on dirait deux amoureux !
– Ne t’inquiète pas. Je regardais bien la télé serrée contre toi, maman dans son fauteuil. Tu trouvais ça normal. Caro est adolescente, son père est son premier amour. Tu étais le mien.
– Ce n’était pas la même chose. Toi, tu n’existes plus !
Il était partial.
Il y eut la réflexion de Michèle, son amie d’enfance ; elle aussi vivait en région parisienne. Ils allaient dîner chez elle parfois.
André et Michèle avaient trois filles. Très proches de leur maman, c’était lui qui se sentait exclu du cercle, mais il se taisait. Excellent père, il n’avait envers aucune ni préférence ni attitude possessive, se montrait très attentif à sa femme, lui témoignait ouvertement son affection par de petits mots tendres.
– Tu vas bien ? Tu es heureuse ? avait interrogé Michèle. Je trouve que Éric exagère avec Caro : elle seule compte. Et les garçons ? Et toi ? Tu es transparente !
Tellement discrète et réservée d’ordinaire, cette sortie abrupte ne lui ressemblait guère. Elle l’avait rassurée : tout allait bien.
Vers deux heures du matin, heure française, elle s’est enfin un peu assoupie. Répit de courte durée interrompu par la douleur dans les reins, elle sait être fébrile : son cœur bat, désordonné, comme chaque fois qu’elle a de la fièvre, si fort que ses voisins vont l’entendre, pense-t-elle.
Placée près du hublot, elle se lève, s’excuse auprès des passagers qu’elle dérange, va demander aux hôtesses boisson et comprimé puis marche un peu dans l’allée. Elle regagne son siège, tente de se réinstaller plus confortablement pour assoupir la douleur. Elle se sent mieux, soulagée par le cachet.
Un moment, elle suit la course du Boeing 747 sur l’écran. Le long courrier vole maintenant au-dessus de l’Atlantique. Parti de Roissy à 23 h 30 dans la nuit, il entrera dans le jour peu à peu. Au hublot, elle guette un temps cette aurore, puis se lasse. Elle s’assoupit, mais les secousses de l’avion qui entre dans une zone de turbulences ainsi que l’annonce de l’hôtesse de l’air la réveillent.
5 Étoiles
Excellent moment de lecture - 20.12.2023
Monique CHERAUD

Je viens de terminer la lecture de ce roman qui m'a passionné car riche de descriptions de pays (le Chili), référence au grand auteur Pablo Neruda, et rappel de l'histoire de ce pays.Descriptions nombreuses de la richesse du pays basques. Références à nos grands auteurs et aux événements de notre histoire Très bien écrit. Se lit facilement, la trame du roman est intéressante. Je recommande fortement. C'est un bon moment de lecture, enrichissant.

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